La mise en oeuvre d'une politique de repérage et de mobilisation des jeunes invisibles : indices d'une reconfiguration du champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes ?
Émilie Defacques-Croutelle  1  
1 : CURAPP-ESS (UMR CNRS 7319)
Université de Picardie Jules Verne, Université de Picardie-Jules-Verne

DEFACQUES-CROUTELLE Émilie - Sociologie, Université de Picardie-Jules-Verne, CURAPP-ESS .....(UMR CNRS 7319)

Cette communication propose de montrer comment la mise en œuvre de la politique de repérage et de mobilisation des jeunes étiquetés comme « invisibles » permet de révéler des enjeux de recomposition au sein du champ de l'insertion professionnelle et sociale.

Acteur dominant dans l'espace de la gestion du chômage des jeunes (Zunigo, 2013), les missions locales, organisées en réseau, ont répondu à un appel à projet « Plan Investissement Compétences (PIC) repérage : repérer et mobiliser les publics invisibles et en particulier les plus jeunes d'entre eux » paru en 2019. Les professionnels des missions locales sont donc investis d'une nouvelle mission : celle d'aller vers les jeunes invisibles envisagés ici sous l'angle des « NEET » (Not in Education, Employment or Training) pour les repérer puis les mobiliser. L'exclusion d'une fraction de jeunes (les « invisibles ») constituerait en ce sens un « problème social » qui ne pourrait être résolu qu'au moyen de la mise en œuvre d'une politique publique visant à les insérer. Toutefois, ce type d'analyse séquentielle en termes de « problème/solution » fait abstraction des enjeux sous-jacents à la mise en œuvre de cette politique (Dubois, 2009).

Dans cette perspective, il s'agit plutôt de chercher à expliquer comment cette nouvelle catégorie d'action publique (les « jeunes invisibles ») agit sur le champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

L'enquête que je mène actuellement s'inscrit dans le cadre d'une recherche-action qui accompagne la mise en œuvre du « PIC repérage » au sein des missions locales. Elle a notamment pour objectif d'observer la mise en œuvre du partenariat qui va se constituer et/ou se consolider dans ce cadre. Des groupes de professionnels composés de conseillers des missions locales et de leurs partenaires sont constitués de manière à mettre en débat les actions de repérage et de mobilisation des jeunes invisibles à partir d'études de cas. Les observations menées au sein de ces collectifs ainsi que celles menées auprès des « référents-repérage » des missions locales sont ici mobilisées pour analyser la reconfiguration du champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

La construction de cette nouvelle catégorie d'action publique (les « jeunes invisibles ») vient légitimer la mise en œuvre d'une politique d'activation (repérage et mobilisation). Les premiers résultats de l'enquête permettent de montrer que sa mise en œuvre n'est pas sans effet sur l'organisation du champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

D'une part, la reconfiguration du champ s'opère notamment par une injonction à mettre en œuvre des pratiques dite « innovantes » au sein des missions locales qui doivent s'ajuster pour remplir leur nouvelle mission. Par exemple, la dynamique du « aller vers » est privilégiée, pour rompre avec la posture plus classique d'attente des conseillers, désormais considérée comme « inefficace » au regard des objectifs de « repérage d'un public invisible ». Les profils des professionnels (médiateur, éducateur de l'aide sociale à l'enfance, collaboration d'une conseillère avec les éducateurs de rue, etc.), recrutés pour assurer les fonctions de « référents-repérage » au sein des missions locales attestent également de cette volonté d'évolution des pratiques professionnelles. La densité du réseau de connaissances des référents et leur capacité à faire du « hors les murs » sont également considérées comme des atouts par les directions des missions locales.

D'autre part, l'impératif quantitatif semble se renforcer sous l'impulsion de la catégorie d'action publique « jeunes invisibles ». Le professionnel de la mission locale se doit de « faire des invisibles » pour « mériter sa part du marché » (Chauvière, 2009). « Faire des invisibles », cet impératif est un autre indice d'une reconfiguration qui expose les missions locales à la concurrence d'autres acteurs (centre sociaux, éducation populaire, associations que sont les autres lauréats des projets PIC repérage). Les partenariats des missions locales actifs avant la mise en œuvre de la politique de repérage des invisibles semblent également mis-à-mal par l'ouverture de cet espace concurrentiel. A titre d'exemple, sur l'un des territoires, le partenariat entre mission locale et centre social est remis en question car chacun compte désormais le nombre d'invisibles qu'il a pu repérer puis mobiliser. Le renouvellement des pratiques professionnelles (« allez vers », « hors les murs », partenariats nouveaux, travail de rue) et le fait de remplir des objectifs chiffrés (« faire des invisibles ») constituent ici des impératifs permettant aux agents du champ de conserver ou d'acquérir leur « part du marché ». La mise en œuvre de cette politique dédiée aux jeunes aurait, dans cette perspective, pour fonction le maintien ou l'acquisition d'une position dominante dans le champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Ces indices permettent de formuler l'hypothèse de la mise en œuvre d'une nouvelle forme de chalandisation (Chauvière, 2009) qui questionne le monopole des missions locales au sein du champ de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Cette communication sera organisée suivant deux axes. Un premier axe traitera de l'injonction de renouvellement des pratiques faite aux professionnels des missions locales. Un deuxième axe portera sur la nécessité de « faire des invisibles » pour gagner sa part du marché.

Bibliographie : 

Chauviere Michel, « Qu'est-ce que la chalandisation ? », Informations sociales, 2009/2, n°152.

Dubois Vincent, « L'action publique » in Cohen (A.), Lacroix (B.), Riutort (Ph.) dir., Nouveau manuel de science politique, La Découverte, p. 311-325, 2009.

Zunigo Xavier, La prise en charge du chômage des jeunes, Ethnographie d'un travail palliatif, Editions du croquant, 2013.

 


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