Le « problème NEET » au Québec. De l'usage de la catégorie au point de vue des jeunes ni en études ni en emploi sur leurs situations
Quentin Guatieri  1  
1 : Université de Montréal

GUATIERI Quentin, Sociologie, Université de Montréal (Canada)

La question des NEET, désignant les jeunes ni en emploi, ni en étude, ni en formation comme objet de recherche et enjeu de mise à l'agenda politique se pose particulièrement depuis une dizaine d'années (Cuzzocrea, 2014). La redéfinition des normes et seuils d'entrée dans l'âge adulte (Silva, 2013) ont progressivement amené les pouvoirs publics à considérer la dichotomie emploi-chômage comme incomplète pour rendre compte des zones grises entre les deux situations (Eurofound, 2016). La catégorie NEET a plus particulièrement émergé dans un contexte d'inquiétude des pouvoirs publics quant à « l'invisibilité » d'une partie croissante de la jeunesse au sein des catégories statistiques traditionnelles renvoyant à une occupation sociale définie (Van de Velde, 2016). C'est dans ce contexte qu'elle a bénéficié d'une circulation internationale et est dorénavant largement intégrée en tant qu'indicateur au sein des enquêtes portant sur les jeunes non-actifs et comme outil d'analyse pour les sociologues de la jeunesse.

Au Canada (Statistique Canada, 2018), et au Québec (Demers, 2013 ; Longo et Gallant, 2019) les NEET font l'objet d'une attention accrue depuis quelques années. Au Québec, longtemps assimilés aux politiques de lutte contre le décrochage scolaire et le chômage des jeunes, les NEET commencent à faire l'objet d'action publique spécifique. L'intégration sur le marché de l'emploi des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation figure ainsi depuis 2016 comme premier axe d'intervention du Secrétariat à la Jeunesse Québécois. Départ@9, Tandem ou Jeunes En Mouvement, plusieurs dispositifs ont été mis en place pour cibler spécifiquement les jeunes catégorisés comme NEET. Bien que le taux de NEET québécois soit l'un des plus bas du Canada en compagnie de l'Ontario, 200 000 jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, soit 15% de la population totale des 15-29 ans.

Les enquêtes sociologiques ayant spécifiquement pris pour objet la catégorie NEET sont encore peu nombreuses et tendent, pour la majorité d'entre elles, à rendre compte des déterminants sociaux influençant la probabilité d'une situation NEET. Cette communication se propose de présenter les résultats de notre thèse en cours portant sur les parcours de vies et les aspirations des jeunes catégorisés comme NEET au Québec. 50 entretiens avec des jeunes de 18 à 29 ans en situation NEET ainsi que 8 intervenants sociaux ont été réalisés. La diversité des profils des jeunes que nous avons rencontrés illustrent l'hétérogénéité des jeunes constituants la catégorie NEET.

Nous proposons une communication reposant sur deux axes. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la construction et l'usage de la catégorie NEET : Qu'est-ce que cette catégorie nous dit des injonctions formulées envers ces jeunes qualifiés avant tout par leurs manquements ? De quels problème « problème NEET » parle-t-on ? Est-il possible de fonder positivement l'expérience NEET et à quelles conditions ?

Après avoir synthétisé ses ambivalences, voire ses « incohérences » (Furlong, 2007), nous montrerons de quelle manière la catégorie des NEET renseigne davantage sur les préoccupations institutionnelles que sur les expériences vécues par ces derniers. De nombreuses enquêtes ont en effet rendu compte de quelle manière l'action publique à destination de ces derniers, bien qu'indispensable pour pallier les inégalités sociaux-économiques et lutter contre les diverses formes de vulnérabilité, peuvent potentiellement créer des injonctions porteuses de violence symboliques. La représentation du « pauvre méritant » impliquée par la formulation des politiques publiques de réinsertion intègre plusieurs dimensions, autant symboliques (en termes de représentations) qu'effectives (mise en place de critères d'attribution à l'aide sociale). Ainsi, trois injonctions semblent peser sur les NEET : la responsabilité individuelle, l'autonomie et l'occupation socialement utile.

Dans un second temps, dans l'objectif de faire émerger les potentiels écarts entre réalité instituée et vécue, nous proposons de présenter une analyse des 50 récits récoltés auprès des jeunes catégorisés comme NEET au Québec. Alors que ces jeunes sont présentés comme les perdants de la compétition sociale, de quelles manières ils et elles vivent et se représentent l'expérience NEET ? Intériorisent-ils ou résistent-ils aux injonctions institutionnelles et sociales qui leur sont formulées ? Comment perçoivent-ils la hiérarchie sociale ? Dans le contexte de sociétés invoquant fréquemment le mérite pour justifier l'ordre social et les inégalités de conditions socio-économiques (Tenret, 2011), et au sein desquelles les logiques de la « compétence », du « projet » et du « workfare » (Couronné et Sarfati, 2018) sont largement diffusés, interroger le rapport à ces normes auprès de jeunes qualifiés par ce qui est présenté comme leurs manques (Loncle, 2016) nous a semblé particulièrement pertinent.

Nous montrerons qu'entre « quête de sens », « pause » et « urgence », les parcours et aspirations de ces jeunes sont dans une large mesure influencés par le degré de maitrise de leurs parcours et certaines variables traditionnelles d'analyse comme le niveau de diplôme et la situation socio-économique des parents. Le recours aux dispositifs fait l'objet d'usage divers et l'expérience vécue des jeunes au sein de ceux-ci varient entre nouveau départ et témoignages de violence symbolique. Nous soulignerons également les épreuves spécifiques auxquelles font face les jeunes résidants en milieux ruraux que nous avons rencontrés.

L'enquête ayant eu lieu au Québec, et sans pour autant s'adonner à une démarche comparative, nous proposons de faire quelques parallèles avec le cas français dont nous sommes familiers à certains moments de la présentation.

Bibliographie : 

Couronné, J. et Sarfati, F. (2018). « Une jeunesse (in)visible : les « Neets vulnérables » de la Garantie jeunes », Travail et Emploi, (153).

Cuzzocrea, V. (2014). « La catégorie des NEET : quel avenir ? ». Points de vue sur la jeunesse, 2020, quelles perspectives ?, (pp. 73-87) Conseil de l'Europe.

Demers, M. (2013). Les jeunes qui ne sont ni au travail ni aux études : une perspective québécoise. Québec. Institut de la statistique du Québec

Eurofound. (2016). « Exploring the diversity of NEETs ». Luxembourg: Publications Office of the European Union.

Furlong, A. (2007). « The zone of precarity and discourses of vulnerability: NEET in the UK », The Journal of Social Sciences and Humanities, (381), p. 101-121. Loncle, P. (2016). « Les NEET, la valeur emploi et les catégories d'action publique dans le champ de la jeunesse en France ». Bulletin de l'Observatoire Jeunes et Sociétés, vol.13, (2), pp.1-2. Longo, M. et Gallant, N. (2019). Rapport sur une catégorie controversée : les jeunes ni en emploi, ni aux études, ni en formation (NEEF). Préparé pour le Secrétariat à la Jeunesse. OJS/INRS, Québec. 52 pages. Silva, J. (2013). Working-Class Adulthood in an Age of Uncertainty. Oxford: Oxford University Press.


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