PETIT-BESSY Audrey - Science Politique, Université de Lille, CERAPS (UMR CNRS 8026)
En novembre 2019, à l'issue du « Grenelle contre les violences faites aux femmes », le Premier Ministre français Édouard Philippe érige l'éducation à l'égalité des sexes dans l'institution scolaire en mesure phare de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Plus précisément, c'est la prime enfance qui est ciblée comme la classe d'âge à atteindre pour, selon ses mots, « traiter les violences à la racine ». Dans cette communication, je montrerai qu'un tel discours sert de faux-fuyant masquant une réalité peu propice à la prise en charge des questions d'égalité à l'école primaire. Le propos est fondé sur un travail de recherche initié dans le cadre d'un mémoire et poursuivi en thèse de science politique, à partir d'entretiens avec des acteurs et actrices de la mise en œuvre de cette politique et des observations en école. Cette recherche, qu'il conviendrait de mettre en lien avec le premier axe de l'appel à communication, « De quels problèmes la jeunesse est-elle le nom ? », dévoile un double paradoxe :
D'une part, si la politique publique d'égalité des sexes à l'école primaire dispose, depuis sa mise à l'agenda dans les années 1970, d'un cadre de mise en œuvre assez élaboré, son utilisation reste relative, au gré des annonces et des dessaisissements de l'exécutif. Dans la suite de son discours, Édouard Philippe désigne comme enjeu clef de la réussite de cette politique la formation du corps enseignant : « Nous allons proposer aux enseignants une formation qui sera désormais obligatoire, durant leurs études puis de manière continue, sur l'égalité entre les filles et les garçons ». Cette obligation de formation n'a en fait rien d'une nouveauté en 2019 : en application d'une loi de 2013, les Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l'Éducation (INSPE) sont légalement tenus d'organiser des « formations de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes ». Outre cette obligation de formation, codifiée mais, dans les faits, méconnue et peu appliquée (voir le rapport du Haut Conseil à l'Égalité entre les Femmes et les Hommes, « Formation à l'égalité filles-garçons : faire des personnels enseignants et d'éducation les moteurs de l'apprentissage et de l'expérience de l'égalité », 2017), nombre de leviers d'action en matière d'égalité filles-garçons à l'école restent ignorés ou sciemment écartés, tant par les enseignant·es que par les pouvoirs publics. On pourra notamment s'appuyer sur une étude empirique du « réseau des chargé·es de mission égalité filles-garçons » en charge, dans chaque académie, de l'accompagnement de la mise en œuvre de la politique publique et dont l'action se révèle plutôt artificielle.
D'autre part, si l'école primaire est régulièrement envisagée par les pouvoirs publics comme un espace idéal où mener des actions de lutte contre les discriminations, la « prime enfance » est, dans la pratique, souvent évincée des réflexions politiques. Ce constat, d'autant plus palpable sur les questions liées aux études de genre, s'est renforcé en 2014 avec à l'expérimentation et la contestation des ABCD de l'égalité, dans un contexte médiatique et social à cran et fortement scindé autour de la « Manif pour tous ». Ainsi, lorsque l'institution scolaire est saisie d'une mission d'éducation à l'égalité des sexes, c'est finalement presque uniquement sur les enjeux d'orientation professionnelle qu'elle acquiert sa légitimité.
Bibliographie :
MOSCONI Nicole, Genre et éducation des filles. Des clartés de tout, Paris : L'Harmattan, coll. « Pédagogie : crises, mémoires », 2017.
PAGIS et LIGNER, L'Enfance de l'ordre. Comment les enfants perçoivent le monde social, Paris : Seuil, 2017.
ZAIDMAN Claude, La mixité à l'école primaire, Paris : L'Harmattan, 1996.