AUBERT PLARD Amélie - Anthropologie, Université Paris Nanterre, LESC (UMR CNRS 7186) & ......Danone Research
L'accroissement continu du poids démographique des jeunes et la mise à l'agenda sur la scène internationale de leurs problématiques de santé, telles que les grossesses dites précoces, génèrent un réel défi pour les systèmes de santé, surtout dans les pays en développement. En Bolivie, selon le dernier recensement de 2012 (Institut national des statistiques 2015), les jeunes de 10 à 24 ans représentent un tiers de la population totale. De plus, le pays présente l'un des taux de fécondité adolescente les plus élevés du continent latino-américain (Ministère de la Santé 2016).
Comment le système de santé bolivien réagit-il face à cette question des grossesses précoces ? En quoi cette problématique fait-elle apparaître des nouveaux rapports de pouvoir dans le secteur de la santé bolivien ? Je me suis posée ces questions dans le cadre de mon doctorat en anthropologie (2020), durant lequel je cherchais à comprendre plus largement les raisons de la persistance d'une forte mortalité maternelle en Bolivie malgré un important investissement des politiques publiques pour tenter de l'anéantir durant ces 30 dernières années. Pour cela, j'ai mené une enquête ethnographique, pendant 19 mois dans les villes andines de El Alto et La Paz entre 2013 et 2015, alliant entretiens semi-directifs (188) et observations participantes au sein de divers établissements et institutions de santé, de programmes et d'organisation de développement, mais aussi dans un quartier alteño. L'objectif était de croiser les discours, représentations et pratiques de l'ensemble des acteurs impliqués pendant la période préconceptionnelle, la grossesse et l'accouchement.
Au yeux des décideurs nationaux, les jeunes boliviens incarnent un avantage en terme de dividende démographique, mais qui, faute de politiques publiques spécifiques pourrait se transformer en risque pour tout le développement national, à l'image de ce que laisse présager le phénomène des grossesses adolescentes. C'est pourquoi, régulièrement ils réitèrent publiquement leur engagement à lutter contre ce dernier, et promulguent plusieurs textes de loi visant à protéger les droits à la santé et à l'éducation des adolescents et des jeunes. Dans le cadre de cette communication, je développerai tout d'abord le décalage existant entre d'un côté les décideurs nationaux et de l'autre, les professionnels de santé et les familles qui eux tendent, dans leurs discours comme dans leurs pratiques à banaliser le sujet. Au niveau des structures publiques de santé, aucune mesure spécifique n'a par exemple été appliquée. En revanche, l'aide internationale occidentale s'est emparée du problème et développe différentes interventions basées sur la prévention de la santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes ainsi que sur la diffusion de leurs droits. Je me demanderai donc dans un second temps dans quelle mesure cette stratégie contribue à la fabrique exogène d'une nouvelle catégorie d'acteurs, qui pourrait dès lors générer de profonds effets sur les représentations et pratiques prénatales en contexte andin urbain. Enfin, alors que ces acteurs de l'aide internationale avaient perdu de l'influence depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement nationaliste d'Évo Morales en 2006, j'interrogerai leurs réelles intentions à travers leur retour via l'empowerment des jeunes boliviens : cherchent-ils à lutter contre la problématique des grossesses précoces ou bien à créer un contrepoids politique au gouvernement en place ?
Bibliographie :
AUBERT PLARD Amélie, 2020, Regards croisés sur l'expérience prénatale. Anthropologie de la santé reproductive et de l'action publique à El Alto (Bolivie), Thèse de doctorat en anthropologie, Université Paris Nanterre, 490 p.
INSTITUT NATIONAL DES STATISTIQUES, 2015, Recensement de la population et du logement 2012, La Paz, 200 p
MINISTÈRE DE LA SANTÉ, 2016, Encuesta nacional de mortalidad materna 2011, La Paz, 98 p.