GAZO Cécile - Sociologie, Institut National Polytechnique de Toulouse (INP-ENSAT-INRAE AGIR)
Adossée à un travail doctoral portant sur la diversification des dispositifs d'aide et d'accompagnement à l'installation en agriculture, cette proposition de communication se veut être une analyse des évolutions d'une politique publique nationale visant à soutenir l'installation des jeunes agriculteurs. Il s'agit par-là d'illustrer en quoi l'émergence et la diversification de ces instruments, portés tant par des acteurs publics que privés, en constitue une remise en question. La politique se retrouve, entre autres, malmenée car elle réserve son instrument phare, la Dotation Jeunes Agriculteurs, aux moins de quarante ans. La figure du jeune est de plus en plus remise en question voire en passe de s'effacer pour laisser place à une politique d'aide à la création d'entreprise. De fait, notre proposition prend le contre-exemple de ce qui est ici mentionné comme « juvénilisation des politiques publiques » tout en reconnaissant et discutant cette catégorie « jeunesse » comme catégorie à la fois politique et professionnelle. Notre cadre théorique s'ancre dans les travaux de sociologie politique de l'action publique (Douillet et Maillard, 2008 ; Hassenteufel, 2011 ; Ribémont et al., 2018).
La Dotation Jeunes Agriculteurs, octroyée en 1973 dans les zones de montagne pour y maintenir l'emploi puis généralisée à l'ensemble du territoire français en 1976, est tout autant le résultat d'une politique qui s'adresse aux jeunes que l'instrument phare d'une politique de modernisation des exploitations agricoles. Elle est née de la rencontre d'un double élan liés à des intérêts distincts mais néanmoins convergents. D'un côté celui des jeunes de la Jeunesse Agricole Catholique (JAC) puis du Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) de s'émanciper d'un modèle agricole communautaire et patriarcal laissant peu de place aux jeunes, de l'autre celui d'un Etat alors à la recherche de forces vives pour moderniser les exploitations agricoles jugées peu productives. La catégorie politique du jeune agriculteur était née. A ce moment-là, du fait de l'action des organisations professionnelles (JAC-CNJA) cette catégorie du jeune en agriculture « se rapporte à des critères spécifiquement professionnels fondés sur l'entrée dans la profession telle que les organisations la définissent [...] Les 18-40 ans s'apparentent plus à une catégorie institutionnellement reconnue de « jeunes installés » que de « jeunes agriculteurs » (Purseigle, 2003). A travers cette dotation se joue la professionnalisation du métier pour laquelle les jeunes sont devenus les piliers. Il s'agit d'une politique nommément destinée aux jeunes mais dont les bénéficiaires peuvent avoir de 18 ans à 40 ans, tranche d'âge inhabituelle pour des « politiques de jeunesse ».
Depuis, le contexte de l'installation a fortement évolué, mais celle-ci est toujours perçu par les uns et les autres (acteurs privés et pouvoirs publics) comme un moment clef pour orienter les changements de modèles agricoles. Cela n'est pas sans conséquence sur les manières de penser le dispositif national de soutien à l'installation. Ce dispositif est aujourd'hui conçu avant tout comme une réponse au problème public (Neveu, 2015) du maintien de l'agriculture sur les territoires. Deux visions s'opposent alors. L'une défendant les considérations générationnelles à l'origine de l'aide, l'autre réclamant une équité entre les porteurs de projet et l'abolition du critère d'âge. S'opposent alors, si l'on peut dire, une vision centrée sur le renouvellement des générations et une vision centrée sur le renouvellement des actifs. La première est notamment portée par les Jeunes Agriculteurs qui sont encore aujourd'hui les principaux promoteurs du dispositif public, la deuxième est une revendication partagée par plusieurs syndicats et associations. Parmi eux, on retrouve les associations affiliées au courant de l'agriculture paysanne, la Confédération Paysanne, les associations proches de ce que l'on nommera les courants néo-paysans (D'allens et Leclair, 2016 ; Macias et Flament, 2020) et qui peuvent être rattachées à la mouvance de l'entrepreneuriat social mais également la Coordination Rurale.
Ces critiques s'expliquent notamment parce que les profils des porteurs de projet, soit les personnes qui souhaitent s'installer en création ou en reprise, se sont fortement diversifiés. On constate à l'endroit des Points Accueil Installation (partie intégrante du dispositif national) une forte hausse des profils en reconversion professionnelle et hausse mécanique de l'âge moyen à l'installation. Ce phénomène se surajoute aux critiques proférées depuis les années 1990 à l'égard de la DJA pour ses critères trop restrictifs et sa non-prise en compte des nouveaux profils assimilés le plus souvent aux hors cadres familiaux (Giorgis et Pech, 2017 ; Noulhianne, 2016).
Nous proposons ici une réflexion sur l'instrumentalisation de la notion de jeunesse dans la résolution de problèmes publics. Nous questionnons pour cela la coexistence de dispositifs émergents et d'instruments d'action publique nationaux en passe d'être régionalisé. La politique nationale est aujourd'hui remise en question par des acteurs « minoritaires » mais également par des acteurs proches du syndicalisme majoritaire (aveu d'impuissance ?). Il est aujourd'hui de plus en plus difficile de penser « le jeune » en agriculture du fait notamment des fréquentes réticences à ce que les jeunes s'installent directement après les études et de la promotion du salariat pour l'acquisition de compétences. En effet, l'activité agricole est aujourd'hui pensée, plus qu'hier comme une activité entrepreneuriale requérant de solides compétences à la fois techniques et gestionnaires. Sur quoi se base aujourd'hui le maintien d'un critère de jeunesse dans les politiques publiques de soutien à l'installation ? Nous proposons ici, à travers une socio-histoire de la Dotation Jeunes Agriculteurs et de ses nombreuses remises en question d'interroger cet adjectif de « jeune » qui était jusque là au centre de la politique. A l'échelle régionale, le dispositif est d'ores et déjà dépassé par certains conseils régionaux qui, motivés par l'installation d'actifs sur leurs territoires proposent des aides directes au démarrage dédiées au public de plus de quarante ans. Quelle sont les évolutions des représentation et des revendications autour du critère jeunesse au moment où cette aide n'est plus pensée ni pour moderniser les exploitations (enjeu 1970), ni uniquement pour assurer un renouvellement générationnel (enjeu 1990) mais pour soutenir la création d'activité/d'entreprise en agriculture dans un contexte de raréfaction des budgets nationaux et européens.
Bibliographie :
D'ALLENS G., LECLAIR L., 2016, Les Néo-paysans, Paris, Le Seuil, 144 p.
DOUILLET A.-C., MAILLARD J. DE, 2008, « Le magistrat, le maire et la sécurité publique : action publique partenariale et dynamiques professionnelles », Revue francaise de sociologie, Vol. 49, 4, p. 793‑818.
GIORGIS D., PECH M., 2017, S'installer en agriculture. Pour un véritable accompagnement des paysans de demain., Editions Charles Léopold Mayer.
HASSENTEUFEL P., 2011, Sociologie politique : l'action publique, Paris, Armand Colin, 320 p.
MACIAS B., FLAMENT S., 2020, Néo-paysans, le guide (très) pratique - 3e éd.: Toutes les étapes de l'installation en agroécologie et permaculture, France Agricole, 314 p.
NEVEU É., 2015, Sociologie politique des problèmes publics, Armand Colin.
NOULHIANNE X., 2016, Le ménage des champs. Chronique d'un éleveur au XXIème siècle, Les éditions du bout de la ville.
PURSEIGLE F., 2003, L'engagement des jeunes agriculteurs dans les organisations professionnelles agricoles : contribution à l'étude des processus d'entree dans l'action collective, These de doctorat, Toulouse, INPT.
RIBEMONT T., BOSSY T., EVRARD A., GOURGUES G., HOEFFLER C., 2018, Introduction à la sociologie de l'action publique, DE BOECK SUP, 288 p.