Les conseils régionaux dans la gouvernance des politiques de jeunesse : de l'éclatement du fait régional à l'inégale affirmation d'un rôle d'impulsion et de coordination
Maëlle Moalic  1  , Jordan Parisse  2  
1 : ARENES (UMR CNRS 6051)
Université Rennes 2
2 : INJEP
Institut national de la jeunesse et de l\'éducation populaire, Institut national de la jeunesse et de l\'éducation populaire

MOALIC Maëlle - Science Politique, Université Rennes 2, ARENES (UMR CNRS 6051) .....PARISSE Jordan - Science Politique, INJEP

Cette contribution se propose de livrer une partie des résultats d'une étude menée en 2019-2020 portant sur les politiques de jeunesse des conseils régionaux. Nous nous concentrerons ici sur le développement et / ou le renforcement de dynamiques transversales et partenariales dans la période qui suit la promulgation en janvier 2017 de la loi Égalité et citoyenneté.

Avec cette loi, le Conseil Régional se voit désigné collectivité "cheffe de file" en matière de politique de jeunesse. La notion de collectivité "cheffe de file" ne repose cependant pas sur une définition clairement délimitée et laisse ouvert de nombreuses marges d'interprétation. Les analyses existantes tendent néanmoins à montrer que, dans les faits, les collectivités endossant ce rôle -et notamment la Région (Gérardin, 2018) - héritent moins d'une compétence générale dans un domaine ou d'une fonction de « leadership » que d'un rôle de « chef d'orchestre » des différents acteurs parties prenantes dans un domaine (Ferreira, 2014) ou d'animation des relations partenariales et multi-niveaux. En prescrivant l'organisation, au sein de chaque région, d'un « dialogue structuré » impliquant les pouvoirs publics, les représentants de la société civile et les jeunes et devant porter sur l'« établissement d'orientations stratégiques et sur l'articulation et la coordination de ces stratégies entre différents niveaux de collectivités et l'État » en matière de politique de jeunesse, l'article 54 de la loi Égalité et Citoyenneté consacre le principe d'une gouvernance partagée de la prise en charge des jeunes et encourage des dynamiques de co-construction de l'action menée dans leur direction.

Dans un contexte de réforme territoriale qui entraine une profonde reconfiguration du fait régional, (Pasquier, 2012) il nous a semblé opportun d'explorer la manière dont ces prescriptions de la loi Égalité et Citoyenneté viennent tant questionner le positionnement des Conseils régionaux vis-à-vis des jeunes que leur rôle dans le système régional de gouvernance des politiques de jeunesse. Les analyses montrent que, pour les collectivités "cheffes de file", la phase de dialogue avec les partenaires peut être concomitante à des dynamiques de redéfinition des stratégies internes dans le domaine concerné par le chef de filât (Rouzeau, 2019). De manière préliminaire, il nous a donc importé d'explorer l'hypothèse d'un endossement du rôle de chef de file qui coïnciderait avec un renforcement des interventions sectorielles du conseil régional en direction des jeunes. Les politiques de jeunesse pouvant être considérées comme un domaine d'action publique "éclaté" ( Parisse, 2020), nous nous sommes surtout intéressés à la coordination interne des interventions sectorielles en direction de la jeunesse. Pour la plupart des Conseils régionaux, la politique de jeunesse ne se réduit pas, en effet, à une juxtaposition de politiques sectorielles qui ciblent les jeunes, mais s'inscrit également, souvent, dans une volonté de faire de la jeunesse un enjeu transversal. La notion de transversalité étant associée à la transectorialité mais aussi à l'intersectorialité (Douillet, Lebrou, Sigalo Santos, 2014), nous avons exploré, en ce sens, la manière dont les Conseils régionaux s'efforcent (ou non) d'articuler entre elles leurs différentes interventions en direction de la jeunesse dans une perspective de cohérence et d'évitement des doublons. C'est l'hypothèse d'une co-construction en interne des politiques de jeunesse qui a guidé notre réflexion. En parallèle, nous avons exploré l'hypothèse de l'impulsion et l'animation par les conseils régionaux de dynamiques de collaboration partenariale. Il nous importait de voir comment l'invitation législative à organiser un dialogue structuré se traduisait dans les régions et plus spécifiquement par les conseils régionaux. Ces derniers étant "chefs de file" des politiques de jeunesse et donc potentiellement des animateurs des relations partenariales dans ce domaine, l'exploration de l'articulation de ce rôle avec la mise en place d'un dialogue structuré nous est apparue incontournable. Il convenait donc de resserrer la focale sur le rôle joué par le Conseil régional dans les dynamiques partenariales mises en place au titre du dialogue structuré et plus spécifiquement dans leur pilotage.

Le dispositif d'enquête élaboré pour éclairer ces questionnements repose sur l'exploration monographique des politiques de jeunesse de trois conseils régionaux (la Bretagne, la Normandie et le Grand Est), ainsi que sur la réalisation d'une enquête exploratoire menée auprès de l'ensemble des conseils régionaux métropolitains. Nous avons, dans ce cadre, mené 89 entretiens avec les élus et les techniciens des conseils régionaux, avec des acteurs des collectivités territoriales, intercommunalités et pays avec de nombreux partenaires institutionnels (services déconcentrés de l'État et CAF notamment) et associatifs du territoire. Nous avons également effectué 12 observations in situ lors de réunions internes, lors de séances plénières et lors de différents événements. Au terme de l'enquête, il apparait que la réception de la loi Égalité et Citoyenneté par les conseils régionaux est diversifiée tant en ce qui se rapporte à l'articulation intersectorielle des interventions propres qu'en ce qui concerne l'endossement d'un rôle de "chef de file" des actions menées en direction de la jeunesse par les différentes collectivités, institutions et associations sur le territoire régional. Alors que certains conseils régionaux se consacrent essentiellement à la mise en place de leurs compétences obligatoires et d'actions volontaristes en direction de la jeunesse, d'autres s'efforcent de faire exister, les catégories « jeune » et « jeunesse » dans l'action politique régionale, indépendamment des interventions sectorielles. Cela passe notamment par l'élaboration de documents stratégiques lesquels impulsent des démarches intersectorielles entre les différents services du conseil régional. Concernant l'incarnation d'un rôle de "chef de file", certains conseils régionaux apparaissent dans l'évitement de cette disposition inscrite dans la loi. Les démarches par ailleurs mises en place oscillent entre logiques descendantes vis-à-vis des acteurs du territoire et véritable processus de co-élaboration.

La diversité des colorations politiques, autant que de la continuité politique et de la stabilité des systèmes d'acteurs en lien avec les fusions de région seront les facteurs explicatifs mis en avant pour expliciter ces réceptions différenciées de la loi Égalité et Citoyenneté.

Bibliographie : 

Douillet, A., Lebrou, V. & Sigalo Santos, L. (2019). Transversalité. Dans : Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques: 5e édition entièrement revue et corrigée (pp. 658-666). Paris: Presses de Sciences Po.

Ferreira, N., (2014), « Chef de filât et conférence de l'action publique territoriale », JCP A, 24 février, p. 34

Gérardin, N., (2018), Vers une centralité de la Région ? Émergence et affirmation du rôle de la Région Île-de-France en matière climat-air-énergie, Thèse de doctorat, Université Paris-Saclay

Parisse, J., (2020), « “Politiques de jeunesse” : significations et enjeux d'une notion multiforme », Fiches Repères INJEP, no 50

Pasquier, R., (2012). Le pouvoir régional: Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France. Paris: Presses de Sciences Po.

Rouzeau, M., (2019) « La gouvernance territoriale des solidarités : localisation, territorialisation et chef de filât » , Pouvoirs Locaux, N°113


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