JAMES Samuel - Sociologie, INJEP , BRICET Roxane - Économie, INJEP
Le Fonds d'Expérimentation pour la Jeunesse (FEJ), porté par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), finance des dispositifs expérimentaux en faveur des jeunes, dans le but de favoriser la réussite éducative des élèves, contribuer à l'égalité des chances et améliorer l'insertion professionnelle, économique et sociale des jeunes du territoire. Après 10 ans d'existence, une enquête a été menée auprès d'anciens porteurs de projet dans le but de recueillir leur expérience avec le FEJ et de mieux comprendre les mécanismes ayant permis aux actions soutenues de se structurer, de se développer ou au contraire d'éclairer les motifs qui n'ont pas permis à certaines actions de perdurer. Cette enquête a pour objet de regarder la place de l'expérimentation FEJ au sein de l'activité de la structure porteuse, le couplage du projet avec son évaluation, ainsi que les formes d'essaimage potentielles observées à l'issue du financement du FEJ. Alors que les résultats évaluatifs des expérimentations font plus aisément l'objet d'une large diffusion et valorisation, cette enquête permet d'observer l'expérimentation FEJ du point de vue du porteur, en s'attachant à mettre en lumière les différentes manières dont les porteurs définissent eux-mêmes l'expérimentation.
L'enquête comporte deux volets complémentaires. Dans un premier temps, un questionnaire en ligne a été envoyé à tous les porteurs de projet ayant travaillé avec le FEJ depuis sa création, soit entre 2009 et 2017. Sur les 857 dispositifs qui avaient été accompagnés par le FEJ à ce moment-là, 174 (20%) ont répondu au questionnaire. Le second volet de l'enquête est consacré à l'analyse d'une vingtaine d'entretiens approfondis avec des porteurs de projet. Ces entretiens avaient pour objectif de préciser certaines des réponses issues du questionnaire. Parmi les structures porteuses interviewées on compte treize associations, deux missions locales, deux collectivités territoriales, deux établissements d'enseignement supérieur, une structure privée et un établissement scolaire public. Quinze dispositifs sont considérés comme « développés », cinq comme « réduits » et un comme « arrêté ». Sans prétendre à la représentativité de l'échantillon de l'ensemble des porteurs de projet qui ont pu bénéficier du soutien du FEJ, l'enquête permet de mieux saisir et de mieux comprendre les points de vue de différents porteurs quant à leur expérience avec le FEJ.
Un premier ensemble de questions porte sur l'inscription de l'expérimentation FEJ dans la continuité de l'action de la structure porteuse. Nous cherchons à savoir si le dispositif expérimenté perdure, pour quelles raisons dans le cas contraire, et, s'il perdure, sous quelle forme (réduit, maintenu, développé). En particulier, nous nous intéressons à l'inscription du financement FEJ dans la continuité des sources de financement de la structure. Les modèles économiques des structures porteuses et les modalités de pérennisation de leur(s) dispositif(s) donnent à voir plusieurs trajectoires en fonction des opportunités ouvertes par l'accompagnement du FEJ. Les dispositifs ayant perduré se sont développés pour la plupart, alors que l'absence de financement pour prendre le relais du FEJ est fréquemment évoqué par les porteurs pour expliquer l'arrêt du dispositif.
Notre analyse porte également sur le contexte d'intégration au FEJ dans l'histoire du projet et l'existence ou non du dispositif en amont de cet accompagnement pour les structures porteuses. Il s'agit de mieux saisir ce qu'a apporté le FEJ au regard du degré de maturité du dispositif que le porteur lui prête. Les porteurs de projet relèvent que les apports du FEJ peuvent être de différentes natures (soutien financier, appui méthodologique, visibilité accrue...) et sont susceptibles de favoriser la structuration du projet (grâce à une cohésion renforcée entre acteurs d'un territoire, à une meilleure connaissance du public...).
Les financements FEJ se distinguent des autres financements potentiels par le couplage d'un projet avec une évaluation scientifique. Nous avons donc interrogé les anciens porteurs sur ce que l'évaluation de leur dispositif avait représenté pour eux. Il s'agit d'examiner ce qui a été retenu de l'évaluation par les porteurs, ce qu'une évaluation externe a pu leur apporter en matière de de crédibilité et de légitimité, mais aussi de contraintes (charge de travail supplémentaire) et de difficultés. Pour les porteurs de projet, les résultats de l'évaluation sont d'une réelle utilité pour la poursuite de leur activité, à la condition qu'ils aient pu en prendre connaissance. D'autre part, l'enquête révèle que l'évaluation peut être à l'origine de malentendus, voire d'incompréhensions, lorsque les méthodes évaluatives n'ont pas été discutées avec le porteur, alors qu'elles peuvent lui sembler inadaptées.
Si la majorité des dispositifs portés par les répondants à l'enquête se sont développés, cette réalité recouvre des voies d'essaimage diverses. Les structures porteuses pérennisent leur projet en le développant et en le dupliquant, parfois en s'appuyant sur la stabilité et le retour d'évaluation offerts dans le cadre de l'expérimentation FEJ. Nous avons donc cherché à déceler cette forme d'essaimage, notamment en demandant de préciser la manière dont le projet était développé, le cas échéant. Selon les réponses issues du questionnaire, les porteurs développent majoritairement leur dispositif par le biais d'un « approfondissement » (augmentation du nombre de bénéficiaires, amélioration de l'impact de l'activité sur chaque bénéficiaire). Ils sont également nombreux à déclarer avoir emprunté la voie de la coopération pour pérenniser leur dispositif, autrement dit à s'être rapproché d'autres structures pour engager des partenariats.
Nous portons enfin une attention toute particulière aux définitions de l'expérimentation qui sont données par les porteurs. Nous verrons alors qu'à la question : « Qu'est-ce qu'une expérimentation pour vous ? », la diversité des réponses indique une compréhension de l'expérimentation comme une pratique plus large, plus englobante, que sa définition scientifique la plus restrictive (celle impliquant l'évaluation aléatoire). A titre d'illustration, le côté « nouveau dispositif » est privilégié dans l'appréhension de l'expérimentation par un certain nombre de porteurs. D'une manière générale, les réponses à l'enquête font apparaître que l'expérimentation FEJ favorise la familiarisation avec la culture de l'expérimentation, par l'internalisation au sein de leurs structures de pratiques rigoureuses, voire de méthodes d'évaluation de leurs actions.
Bibliographie :