HBILA Chafik - Sociologue (Jeudevi) - Chercheur associé ARENES (UMR CNRS 6051)
L'État et un grand nombre de collectivités locales tendent de plus en plus, ces dix dernières années, à inscrire leurs politiques de jeunesse dans des approches dites globales et intégrées. Deux constats guident souvent leurs orientations. Le premier concerne une sectorisation ou une atomisation des interventions auprès du public qui ne fait plus sens : les acteurs agissent les uns à côté des autres et insuffisamment en partenariat, ce qui peut créer des doublons et des incohérences dans les interventions proposées. Ce constat n'est certes pas nouveau mais s'impose avec d'autant plus d'acuité quand les finances publiques se tarissent et que les décideurs doivent davantage arbitrer et rationaliser leurs choix. Le second pointe un taux de non-recours des jeunes à l'offre très élevé (Vial, 2018). Sur tous les terrains que nous avons enquêtés, nous avons toujours relevé une frustration forte du côté des pouvoirs publics locaux face à l'existence d'une multitude de dispositifs répertoriés dans le catalogue local et national peu ou mal appropriée par les jeunes qui en auraient le plus besoin (emploi, mobilité internationale, culture, soutien aux projets de jeunes, etc.). Cela pose au moins deux questions : d'abord celle de l'adéquation de l'offre au regard des besoins des jeunes ; ensuite celle de la connexion de l'offre au public : comment mieux cibler et aller vers les jeunes ? Et comment faire en sorte que ceux-ci soient aussi acteurs des politiques qui leur sont destinés et plus seulement de simples bénéficiaires.
Face à ces constats, l'enjeu formulé par les pouvoirs publics est de penser des politiques de jeunesse de façon globale et intégrée, cette dernière privilégiant la transversalité de l'action. L'idée semble faire son chemin et tend à s'imposer comme un « allant de soi ». Si l'ambition est loin d'être nouvelle, il semblerait en effet que le mouvement se soit amplifié ces dix dernières années sous la double-impulsion des différents programmes de l'Etat et de la montée en puissance significative des collectivités sur ces questions. La finalité est d'inscrire la jeunesse dans une approche multidimensionnelle et multithématique de ses besoins et de ses attentes (emploi, santé, culture, logement, mobilité, sport, loisirs, etc.) à travers une gouvernance de l'action reposant sur des réponses transversales coordonnées, nécessitant un partenariat entre plusieurs structures/institutions dans le cadre d'une politique de jeunesse locale. Mais quel est le sens d'une telle approche ? Véritable ambition politique pour les jeunes ou simple rhétorique de mode sous fond de novlangue néolibérale ou managériale des politiques publiques ?
En effet, les acteurs de la jeunesse immergés, quel que soit leur domaine d'intervention, dans les politiques de jeunesse font face, parfois de façon résignés, à ce qu'ils peuvent vivre comme une novlangue et des injonctions parfois contradictoires inscrites dans les nouveaux référentiels de l'action publique : approche globale, intégrée, transversalité, participation, partenariat, etc. En saisir le sens en déconstruisant collectivement ces concepts s'impose aujourd'hui afin d'en reconstituer la logique, au regard des réalités du terrain. Il s'agit aussi, in fine, de pouvoir mesurer les plus-values de telles approches pour les jeunes.
L'objectif de notre intervention pour le colloque sera d'interroger les processus initiés dans les approches globales et intégrées des politiques de jeunesse comme défi de l'action publique. Pour ce faire, nous proposons de l'aborder en trois parties. La première partie tentera une définition de ce qu'est une approche globale et intégrée d'une politique de jeunesse en interrogeant les enjeux politiques et institutionnels sur lesquels elle repose et les types de gouvernance que ses « partisans » entendent impulser. La seconde partie de notre intervention passera en revue les freins qui empêchent la construction et le déploiement de ces politiques globales et intégrées, malgré le volontarisme affiché par les décideurs publics nationaux et locaux. La troisième et dernière partie mettra en avant les défis à relever - tels qu'ils se dessinent aujourd'hui dans les territoires sur lesquels nous enquêtons - pour un cadre politique et opérationnel plus cohérent et efficace en développant, sous forme de questionnements, trois enjeux de politique publique tels qu'ils nous sont souvent formulés sur le terrain : le premier enjeu est politique et concerne la structuration de la stratégie et de la gouvernance d'une politique de jeunesse locale, avec un regard sur la place des jeunes dans ces processus ; le second concerne la coordination et les réseaux d'acteurs, il interroge les partenariats et l'articulation des interventions ; le dernier, enfin, concerne les professionnalités de jeunesse à travers une réflexion sur les postures d'accompagnement des jeunes.
Notre propos s'appuiera sur le travail de recherche et d'évaluation que nous menons depuis deux ans dans le cadre du Programme d'Investissement d'Avenir « Les jeunes s'en mêlent ». Cette expérimentation conduite par l'État nous amène à enquêter dans les 16 sites qui émargent au dispositif. Notre travail a pour objectif d'apprécier les changements produits localement par ce dernier, notamment sur la gouvernance des politiques locales de jeunesse, la participation des jeunes et l'évolution des professionnalités de jeunesse.
Bibliographie :
BECQUET, Valérie, LONCLE, Patricia et VAN DE VELDE, Cécile. 2012. Politiques de jeunesse : le grand malentendu. Paris, Editions Champ social.
DUBET, François. 2004. « La jeunesse est une épreuve », Comprendre, Paris, PUF, n°5.
DURAN Pascal. 1999. Penser l'action publique, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence
GALLAND, Olivier. 2006. Sociologie de la jeunesse, Paris, Armand Colin.
HASSENTEUFEL, Patrick. 2011. Sociologie politique : l'action publique. 2e édition. Paris, Armand Colin.
HBILA Chafik. 2011. Jeunes de quartiers populaires et politiques de jeunesse, Paris, Editions de l'INJEP, Collection Cahiers de l'action n°32.
HBILA, Chafik. 2015. « L'expérimentation : un levier pour faire évoluer les politiques locales de la jeunesse ? ». Agora Débats/Jeunesses, n°69 : pp. 73-86.
LASCOUMES, Pierre, et LE GALES, Patrick. 2005. Gouverner par les instruments. Paris, Les Presses de Sciences Po.
LONCLE, Patricia. 2008. Pourquoi faire participer les jeunes ? Expériences locales en Europe. Paris, L'Harmattan.
LONCLE, Patricia. 2010. Politiques de jeunesse. Les défis majeurs de l'intégration. Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
PASQUIER, Romain. 2012. Le pouvoir régional. Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France. Paris, Presses de Sciences Po.
VANNIER, Martin. 2008. Le pouvoir des territoires. Essai sur l'interterritorialité, Paris, Economica/Anthropos.
VIAL Benjamin. 2018, Le non-recours des jeunes adultes à l'aide publique. Revue de littérature, INJEP Notes & rapports/Revue de littérature.