Les expériences d'accompagnement en mission locale des jeunes étiquetés comme invisibles
Émilie Defacques-Croutelle  1  
1 : CURAPP-ESS (UMR CNRS 7319)
Université de Picardie Jules Verne, Université de Picardie-Jules-Verne

DEFACQUES-CROUTELLE Émilie - Sociologie, Université de Picardie-Jules-Verne, CURAPP-ESS .....(UMR CNRS 7319)

Cette communication s'intéressera aux expériences des jeunes étiquetés comme « invisibles » et faisant l'objet d'actions de repérage et de mobilisation par les professionnels des missions locales. En 2019, les missions locales, organisées en réseau, ont répondu à un appel à projet « Plan Investissement Compétences (PIC) repérage : repérer et mobiliser les publics invisibles et en particulier les plus jeunes d'entre eux ». Les professionnels des missions locales sont donc investis d'une nouvelle mission : celle d'aller vers les jeunes invisibles appréhendés ici sous l'angle des « NEET » (Not in Education, Employment or Training) pour les repérer puis les mobiliser. Qui sont ces jeunes ? Ont-ils une expérience de l'accompagnement en mission locale différente de celle du public habituel ? Pour le dire autrement il s'agira ici d'analyser les effets de la construction d'une catégorie d'action publique (« Les jeunes invisibles ») sur les expériences d'accompagnement en mission locale.

L'enquête que je mène actuellement auprès des jeunes invisibles s'inscrit dans le cadre d'une recherche qui accompagne la mise en œuvre du PIC repérage par les missions locales. Elle porte notamment sur la connaissance des publics et de leurs parcours au sein des dispositifs des missions locales. Chercher à mieux connaître les invisibles suppose de mobiliser à la fois les méthodes quantitatives et qualitatives.

A ce stade de début d'enquête, les données quantitatives permettent d'identifier de premières caractéristiques des invisibles. Enfants de pères ouvriers ou employés (61,2%), les invisibles sont majoritairement issus de milieux populaires, disposant de ressources inférieures au seuil de pauvreté (3/4), ils vivent pour deux tiers d'entre eux chez leurs parents et moins d'un quart d'entre eux n'a aucun diplôme.

Pour tenter d'identifier ce qui les distinguerait ou non du public habituel, les méthodes qualitatives sont utiles pour accéder à la dimension subjective (Murard, 2003) des expériences d'accompagnement.

Des travaux sociologiques ont montré comment le public habituel des missions locales met en œuvre des stratégies d'adaptation pour « se conformer » aux attentes de l'institution (Mazouz, 2014) et comment certains jeunes deviennent des « experts » en matière d'usage des différents dispositifs (connaissance aiguisée des « astuces ») ou se maintiennent à distance des dispositifs en privilégiant le « Bizness » (Zunigo, 2013). Il semble en être de même pour les invisibles.

Les premières données qualitatives recueillies permettent de montrer que parmi les invisibles, certains d'entre eux ont parfaitement intégré l'injonction biographique (Astier, Duvoux, 2006) à laquelle ils sont soumis. Cette capacité à se mettre en mots est mobilisée par les professionnels pour opérer une distinction entre les « bons » et les « mauvais » élèves des missions locales et donc d'opérer un classement parmi les invisibles.

L'analyse des premiers entretiens permet de saisir comment ils se présentent, parfois au cours d'un même récit, comme « victimes » (d'un système : « en attente sur « parcours sup » », d'un professeur principal qui a les a orientés dans une filière non choisie par exemple) et « coupables » (interruption volontaire d'une formation ou expulsion d'un établissement scolaire). Ces récits nous placent face au « tribunal intérieur » (Murard, 2003) des jeunes « invisibles ». Il s'agit ici d'une piste permettant de comprendre comment la politique d'activation déployée à l'égard des invisibles les amène à devoir rendre compte de leur « invisibilité », contrainte qui ne s'impose pas aux jeunes qui poussent seuls les portes de la mission locale.

Ce qui semble distinguer les invisibles des usagers habituels, c'est davantage le fait qu'ils soient au cœur d'un dispositif d'action et de communication élaboré à partir d'une catégorie d'action publique, plus que des expériences d'accompagnement différentes. Sans qu'ils ne soient informés de ce ciblage, les premières données tendent à montrer que les invisibles cherchent à justifier leur invisibilité auprès de différents interlocuteurs.

L'hypothèse centrale qui guide le propos est la suivante : les jeunes invisibles ont des expériences de l'accompagnement semblables à celles du public habituel des missions locales, c'est la catégorie d'action publique « jeune invisible » qui en fait un public spécifique amené à rendre compte de son invisibilité.

Le premier axe mettra en exergue les expériences de l'accompagnement en mission locale par les jeunes invisibles qui paraissent similaires à celles des usagers habituels. Le deuxième axe s'intéressera à la manière dont les invisibles cherchent à justifier le non-recours aux dispositifs proposés par les missions locales, ce que n'ont pas à faire les usagers habituels qui ne sont pas visés par la construction d'une catégorie d'action publique.

Bibliographie : 

ASTIER Isabelle, DUVOUX NICOLAS (dir), La société biographique : une injonction à vivre dignement, L'Harmattan, 2006.

Bernot-Caboche Claire, « Articulation de l'offre d'accompagnement sur les territoires Conférence pour le colloque « Pratiques d'insertion professionnelle des jeunes », DARES, novembre 2017.

Mazouz Sarah, « Le cadre de l'émancipation : Se conformer à l'offre d'emploi dans une mission locale », Politix, n° 108, 2014/4.

Murard Numa, La morale de la question sociale, La dispute, 2003.

 


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