La mobilisation de la notion de compétence par les professionnelles de jeunesse dans le parcours d'insertion des jeunes
Sabrina Semache  1  , Alexis Alamel  1  
1 : Territoires, Villes, Environnement & Société - ULR 4477  (TVES)  -  Website
Université du Littoral Côte d'Opale : ULR4477, Université de Lille : ULR4477
USTL Bat. Géographie - TVES59655 Villeneuve dÁscq -  France

SEMACHE Sabrina, Sciences de gestion, Université du Littoral Côte d'Opale, TVES (ULR 4477), .ALAMEL Alexis, Géographie, Université de Lille, TVES (ULR 4477)

Depuis une quinzaine d'années, l'emploi des jeunes fait l'objet de toutes les attentions et cela s'explique de différentes façons. Sur l'année 2019[1], le taux de chômage des jeunes atteignait près de 20 % alors même que celui de la population active était de 8,4 %. Si ce pourcentage élevé est révélateur de la situation préoccupante des jeunes en France, il est pourtant loin de refléter la réalité et ne s'intéresse qu'aux jeunes activement à la recherche d'un emploi. Comme le soulignent Cuzzocrea (2013) et Furlong (2007), aborder « l'exclusion et la vulnérabilité de la jeunesse » sous le seul angle du chômage revient à ignorer l'existence d'« une zone grise » dans laquelle se situerait une partie de cette jeunesse qui n'est ni en emploi, ni en formation, ni en stage. Ces jeunes « NEETs[2] », âgés de 15 à 24 ans, représentent aujourd'hui environ 12 %[3] des jeunes dans l'Union Européenne (UE) contre 15 %[4] en France. Or, cette population pose de nombreux défis aux entreprises : modeste niveau d'éducation et difficultés de compréhension, faible estime de soi, etc. Les défis sont nombreux alors même que les entreprises ne disposent que de très peu de temps pour les accompagner[5].

Depuis les années 1980, les politiques publiques ont pris le problème à bras le corps pour lutter contre l'exclusion. Plus récemment, une initiative de l'UE a permis de lancer le « Plan Initiative pour l'Emploi des Jeunes » dont l'objectif était de proposer un financement aux structures accompagnant les NEETs dans l'emploi (missions locales, centres sociaux, associations, etc.). La condition était alors pour ces dernières de leur proposer des alternatives dans les quatre mois suivant la sortie du système éducatif ou la perte de leur emploi. Pourtant, ceci reste aujourd'hui insuffisant. Les NEETs continuent d'éprouver des difficultés à entrer dans le monde professionnel. Plusieurs rapports[6] mettent en exergue le manque de formation et les discriminations conduisant notamment à des difficultés d'accès à l'emploi stable. Mais, les difficultés de mise à l'emploi des jeunes ne viennent pas seulement d'un manque de diplôme mais aussi, trop souvent, d'un manque de confiance en eux et en leurs compétences. C'est pourquoi, et comme le soulignent Cahuc et al. (2013), pour parvenir à « trouver un emploi ou une formation, un jeune sans qualification a besoin d'être financé, suivi et conseillé de façon intensive ».

Or, aujourd'hui, nombreuses sont les structures et les professionnels qui gravitent autour des jeunes pour les accompagner et renforcer leur employabilité. Cela pose également plusieurs questions. Ainsi, notre étude s'intéresse aux questions suivantes :

Comment repèrent-ils les compétences des jeunes ? Dans quel but ? Comment celles-ci sont-elles valorisées dans le parcours individuel des jeunes suivis ? 

Pour répondre à ces questions, cet article s'appuiera sur les premiers résultats d'une recherche en cours menée dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) « Investir dans les jeunesses de la Métropole Européenne de Lille ». Ce projet associe 13 communes, 27 acteurs du territoire métropolitain (centres sociaux, missions locales, associations)[7] ainsi que trois laboratoires de recherche de l'Université de Lille. Il a donc la particularité d'associer chercheurs et praticiens pour une meilleure optimisation de la mise en œuvre des politiques publiques. 

Au sein du PIA, nombreux sont les acteurs qui abordent, de façon plus ou moins explicite et plus ou moins réfléchie, la notion de compétences des jeunes dans les actions qu'ils mènent. Compétences transverses, savoir-être, soft skillsopen badges et livrets de compétences sont autant de notions et d'outils qui traversent les actions du PIA. Notre travail a pour objectif de comprendre comment les différents acteurs professionnels, travailleurs de la jeunesse se sont emparés de cette notion partagée pour valoriser le parcours des jeunes et, in fine, favoriser leur employabilité.

Pour cela, nous avons mobilisé différents outils. Des ateliers réflexifs ont été organisés et animés avec les membres des structures. Le but était alors de mieux comprendre les actions des uns et des autres, et leurs périmètres. Ensuite, nous avons réalisé un questionnaire en ligne, accompagné de plusieurs entretiens auprès de ces « travailleurs de la jeunesse » afin de mieux cerner la façon dont cette notion de compétence est utilisée dans l'accompagnement des jeunes. Nous avons également mobilisé des sources de données secondaires, telles que les revues de presse internes, la presse spécialisée, etc. Ainsi, ces méthodes ont dégagé plusieurs enjeux : la mise à disposition des acteurs de socles théorique et pédagogique dans l'application de la notion de compétences, les différences et les points communs entre les différents outils (open badge, livrets, passeports, etc.) utilisés, les objectifs poursuivis par les acteurs, la reconnaissance et la valorisation des compétences des jeunes suivis, et les interactions avec les apprentissages et les parcours individuels.

L'analyse nous permettra de comparer la manière dont les acteurs construisent leurs activités selon leur secteur d'activité et la commune dans laquelle ils opèrent ainsi que sur leur propre parcours professionnel et les diverses difficultés soulevées par les acteurs de terrain. 

Dans une première partie, les concepts utilisés et le déploiement de la notion de compétence seront examinés. Puis, nous nous attarderons sur les « travailleurs de la jeunesse ». Nous dessinerons les contours de cette notion pour mieux comprendre qui sont ces acteurs. Ensuite, nous nous pencherons sur l'accompagnement proposé par ces professionnels et leur rôle auprès des jeunes. Dans une seconde partie, nous présenterons notre méthodologie et le territoire sur lequel s'est déroulée notre recherche. Enfin, les résultats seront exposés.

[1] Taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans, défini selon les données de l'OCDE (2020).

[2] Not in education, employment or training, (ni en formation, ni en emploi, ni stagiaire)

[3] Think tank du parlement européen (chiffres parus en 2017 pour la période de 2015)

[4] panorama de la société de 2016 réalisé par l'OCDE

[5] Accompagnement des jeunes NEET, Etudes et dossiers, Affaires Sociales, Juin 2016.

[6] Diagnostic sur l'emploi des jeunes, février 2011, COE. Prévost J-B. (2012) : L'emploi des jeunes, CESE, décembre.

[7] Croix, Roubaix, Hem, Mons en Baroeul, Lys les Lannoy, Haubourdin, Lille, Lomme, Hellemes, Loos, Marcq en Baroeul, Ronchoin, Tourcoing.

Bibliographie : 

Cahuc, P., Carcillo, S., & Zimmermann, K. (2013). L'emploi des jeunes peu qualifiés en France. Notes du conseil d'analyse économique.

Cuzzocrea, V. (2013). Chapitre 5. La catégorie des NEET : quel avenir ? . Dans Point de vue sur la jeunesse - Quelles perspectives ? (pp. 73-87). Conseil de l'Europe.

Furlong, A. (2007). Not a very NEET solution : representing problematic labour market transitions among early school-leavers . Work, employment and society, 20(n°3), 553-569.


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