Appel à communication > Présentation générale

Depuis des décennies, se sont succédées en Europe et au-delà, des générations de politiques publiques visant à intervenir sur ou en accompagnement des jeunes, autour de thématiques comme l'insertion, l'accès à l'emploi, l'éducation, les pratiques médiatiques, informationnelles et numériques, la citoyenneté. Ces politiques se sont déclinées autour trois principaux modèles : soit des programmes d'action (planification) thématiques ou stratégies jeunesse de niveau étatique sous l'impulsion de Ministères nationaux et/ou fédéraux, soit des dispositifs inspirés de l'affirmative action (Blanchard 1989) ciblant des populations et/ou territoires spécifiques, soit celui de politiques de jeunesses dites intégrées dans le cadre d'une régionalisation, d'une décentralisation de l'action publique. Toutes ces politiques sont restées caractérisées par un relatif flou, et de fortes fluctuations dans la définition même de ces jeunesses, qualifiant parfois des classes (d'âge), des générations (Moreno et Mariano 2018) ou encore des problèmes spécifiques.

C'est en particulier le cas en France où la remise en question, dans les années 1980, d'une approche sectorielle et centralisée des politiques publiques (Muller 1990), s'est traduite dans les premiers temps de la décentralisation, par la mise en place de politiques qui ne ciblent plus tant des “problèmes” spécifiques que des catégories spécifiques ou des zones spécifiques, et qui croisent de façon orthogonale une territorialisation progressive des politiques publiques (Warin 2004). Si l’existence de politiques de la “jeunesse” n’est pas en tant que telle une nouveauté (Loncle 2003), comme en témoigne du reste l’ancienneté de l’existence d’un Ministère consacré à cette catégorie en France, cette tendance s’est notamment concrétisée par une multiplication depuis les années 1980 de ce qu’on peut qualifier de « politiques publiques juvénilisées », au sens de programmes d’action publique qui mettent en avant la catégorie « jeunesse », par ailleurs vigoureusement discutée (Barry 2005). Ceci étant avéré pour la France, mais aussi au niveau européen (Oberti et Richez 2006 ; Chevalier 2015 ; Loncle 2017), voire au-delà (Williamson 2006 ; Williamson 2017), à une échelle nationale autant que dans le champ local (Halter 2007 ; Loncle 2011). Au point que l’existence d’une spécificité de politiques dédiées à une catégorie « jeunesse » peut sembler relever de l’évidence.

Cette évolution n’est pas sans soulever un certain nombre de questions.

D’abord, la sociologie de la jeunesse n’a cessé de démontrer qu’il n’existe pas de définition consensuelle de la catégorie « jeunesse » (Mauger 2010), que cette catégorisation est tributaire de représentations voire de stigmatisation (Gauthier 2008). En outre, les dispositifs marqués du sceau des “politiques de jeunesse” se caractérisent par leur grande variété tant dans leur contenu que dans leurs objectifs, leurs méthodes et leurs populations cibles (Becquet, Loncle, Van de Velde, 2012). Dans quelle mesure cette catégorie fait-elle sens, pour qui et dans quels contextes ? La mise au pluriel de la catégorie a-t-elle un quelconque impact ou n’est-elle qu’un effet de langage ?

Elle pose aussi les questions des effets attendus de ces politiques lorsqu’elles convergent, et de leurs référents idéologiques : s’agit-il de renforcer la citoyenneté, l’esprit critique, la créativité, de lutter contre des mécanismes de désinsertion sociale, ou, d’appuyer sous des formes plus normative l’encadrement des conduites, renforcer les effets de stigmatisation des « déviances » ou de « désengagement » ? De « mettre en capacité » réelle d’action, d’émanciper ou de conforter une vision néo-libérale de l’employabilité derrière des dispositifs de développement des compétences y compris les compétences numériques de l’“e-administré”?

Par ailleurs, la définition d’une population par classes d’âge, outre le fait de masquer une grande hétérogénéité (genre, classe, lieu d’habitation, capital culturel, etc.), peut aussi être prétextes à d’autres enjeux intéressant les institutions elles-mêmes, parfois davantage que les objets auxquels leur politique sont censées s’intéresser. La mise en place d’un réseau d’acteurs, le travail de consolidation de partenariats autour des thématiques jeunesse, en constituent aussi les attentes et possibles résultats tangibles. Les espaces nouveaux de collaboration ainsi créés deviennent porteurs d’enjeux politiques pouvant dépasser les effets attendus auprès des populations bénéficiaires de ces programmes. Dans cette optique, la « juvénilisation des politiques publiques » voit dédier explicitement à certains dispositifs d’accompagnement, de mise à l’emploi etc. le rôle de laboratoires de redéfinition de la conduite de l’action publique. Il s’agirait donc d’éclairer dans quelle mesure la « jeunesse » joue-t-elle aussi ce rôle de catégorie d’action politique ? Entourée de représentations positives, elle accompagne de ce fait aussi des formes évidentes de quête institutionnelle de rationalisation des moyens, de « meilleure » gestion, de communication vertueuse, voire éventuellement des visions à très court terme de l’action politique...

Enfin, derrière l’acception du terme générique de « territoire » des politiques de jeunesses se profilent des situations fortement différenciées au sein des métropoles autant qu’à distance de celle-ci dans les territoires de faibles densités (périurbain, rural...). C’est d’abord la tension classique entre actions ciblant des périmètres (discrimination positive) et des territoires qui est aujourd’hui à réinterroger par l’entrée croissante dans la société des réseaux (Vanier 2015, Estèbe 2008). Mais aussi la situation des jeunesses que les politiques abordent par périmètres ou par classements d’urbanité (territoire ruraux, périurbains). Quel sens, pour des « jeunesses » qui s’affranchissent allègrement des compartiments spatiaux ? Qu’attendre par ailleurs de dispositifs d’exception dit « sur mesure » ou de l’affirmation de principes de différenciation territoriale ?

Ce sont ces problématiques que nous souhaitons voir développer lors de ce colloque, en accueillant notamment des contributions qui pourraient se définir autour d’axes de réflexion généraux suivant, non-limitatifs : quels sont les « problèmes sociaux » visés par les politiques publiques territoriales en direction de la jeunesse ? À quelles problématiques socio-politiques répond la juvénilisation des politiques publiques territoriales ? Quelles sont les méthodes nouvelles qui sont pratiquées et mises en œuvre dans le cadre de ces politiques ? Pour quels effets sociaux, territoriaux ?

Les axes thématiques de l'appel : 

 

Axe 1 : De quels problèmes la jeunesse (la juvénilisation ?) est-elle le nom ?

Axe 2 :Co-construire les politiques publiques territorialisées en direction des jeunes ?

Axe 3 :Questionner l’implication des jeunes

 

Les travaux interdisciplinaires seront particulièrement bienvenus ainsi que des études qui portent sur des terrains nationaux ou internationaux variés.

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